« Chacun de nous a son passé renfermé en lui, comme les
pages d’un vieux livre qu’il connaît par cœur, mais dont ses amis
pourront seulement lire le titre. »
Virginia Woolf
« Tout acte photographique doit avoir l’humilité d’accepter que
cette expression visuelle demeure avant tout paradoxale, cela est sa
première audace, qui supplante toute virtuosité ou performance. A
contrario de ce qu’énonce Virginia Woolf dans Les Vagues : « J’ai
voulu dilater la nuit, et y faire entrer sans cesse de plus en plus de
rêves. », Soleil Noir est une série photographique qui convoque plus
cauchemars et fantômes tapis dans les ombres de la solitude. Ces
photos viennent à nous comme des créatures déchirant tout confort
et émiettent en poussière toutes les tentations de la possession du
visible.
Proposant un dialogue entre corps et paysage, ces deux
espaces photographiques se nourrissent plus qu’ils ne se répondent.
Si le paysage communément était une projection tournée vers l
ailleurs, il est traité ici de manière retournée, sans ligne de fuite ni
d’horizon, il est étouffé d’échappées impossibles. Demeure t’il alors
une extension mentale, une projection de ces autoportraits ? Ceux-ci, d’autoportraits, viennent nous venger des kilomètres de pellicules
où le corps n’est qu’exaltation et sublimation, ici le corps lutte entre
présence et absence.
Le regard, permettant alors tout dialogue et échange est absent, il
n’est pas offert à l appétence d’un coup d’œil voulant le dompter le
dominer, il tente justement de fuir cette emprise, dans un huis clos
rempli de vide ; de l’autre et finalement surtout de soi. Cette
présence nous est proposée dans un brouhaha primitif. La chair est
archaïque jusqu’à l animal entre contorsion et scansion, elle se voit
désincarnée de toute séduisante présentation.
Le vivant est celui du doute et de l’instabilité. La lumière
suinte et transpire de ressentis, elle n’est nullement flatteuse, elle ne
cherche pas à honorer et célébrer, fuyant la satisfaction de la simple
évidence de montrer et donc démontrer, elle ajoute à l’inconfort.
La réalité se joue de masques et se révèle subtilement dans l ombre
et le caché, en acceptant la possibilité de basculer, de déborder, de
perdre l’équilibre et d’ainsi dépasser toute dissimulation et
concession, la représentation s’affirme et justifie sa nécessité.
Précarité du visible et rituel de possession résonnent dans chacune
des photographies, entre visions tranchantes et tranchées,
convulsions physiques et terrestres, et offre la confrontation à une
expérience du regard non conciliante.
Il serait donc question d’exil immobile, d’une tentative de
fuite : est elle identitaire, sociale, peu importe, saturée du bruit de la
solitude et de l étouffement du paraître, cette errance déviante danse
dans un camaïeu spectral, ellipse dissonante où l’intime est
inhospitalier, il n’est pas question de séduire ou flatter le regard par
une quelconque mélancolie, il est question d’une brutalité impolie
démontrant le processus indispensable de voir à regarder. »
Michel Lebelhomme, 2021